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vendredi 25 mars 2016

Montrer l'horrible (ou pas)

Mise à mort d'un boeuf, Pâ, le 15 juin 2013
                  CANON EOS 60D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/1.4
                  1/2 000 s
                  ISO 250

Attentats à Paris, Bamako, Ankara, Ouagadougou, Abidjan, Bruxelles et il y en aura d'autres. A chaque attaque, des scènes identiques : les corps sanglants, les blessés agonisant, mais surtout les survivants, smartphone en mains, qui immortalisent l'horreur. Dans les minutes suivantes, un flot de photographies et vidéos se déverse sur le web, relayés par les utilisateurs des réseaux sociaux. Dans la précipitation, les journaux se servent et impriment sans prendre le recul nécessaire.

Le massacre du Bataclan, le 13 novembre 2015, a probablement été le plus filmé de l'intérieur, photographié en selfie ou en mode reportage amateur, ajoutant le cynisme à l'horreur de l'évènement. Durant plusieurs heures, ces images sont restées en libre accès sur la toile. L'aéroport de Bruxelles, le 22 mars 2016, par la présence d'une photographe professionnelle a parut légitimer la diffusion d'images de blessés hagards, traumatisés, les vêtements arrachés, les blessures sanglantes.

J'avais pourtant apprécié le travail de Sia Kambou, photographe de l'AFP arrivé peu de temps après sur les lieux de l'attaque du Grand Bassam en Côte d'Ivoire, le 13 mars 2016. Il avait su saisir la réalité tout en atténuant l'horreur pour rester à la portée de tous, sans choquer ni chercher à faire le buzz de trop. Grace à lui, les journaux pouvaient parler le l'attentat sans montrer les morts et les mourants. Je constate que malheureusement, les médias belges, mais aussi européens, n'ont pas été à la hauteur cette semaine.

Il est particulièrement difficiles de porter un jugement juste d'un point de vue humain, sur un travail en cours, lorsqu'on se trouve plongé, sans y avoir été préparé, dans l'horreur d'une scène de guerre.  Car être photographe ne nous immunise pas contre les traumatismes. Si bien que la prise de vue n'est pas le meilleur moment pour réfléchir à ce qui peut être montré et ce qui ne doit pas l'être. D'autant que toute réalité, quel que soit sa dureté, mérite d'être archivée. Je n'en veux pas aux photographes qui produisent les images insoutenables de ce qu'ils ont devant les yeux. En revanche, tout ne doit pas être diffusé, en direct, sans recul. C'est à tête reposé, dans le calme que le photographe doit faire ses choix. Il ne faut jamais oublier que les survivants ont une vie future lors de laquelle ils devront se reconstruire, les victimes ont de la famille et des amis qui ne s'attendent pas à les voir exposer en pleine détresse. Il ne faut pas non plus oublier que les enfants, même très jeunes, ont accès à ces images.
Les photographies les plus dures auront valeur d'archives dans plusieurs années. Elles pourront servir lors d'un éventuel procès ou demande d'indemnisations. Elles n'ont pas nécessité d'être diffusées tant que les proches des victimes sont en deuils, tant que l'émotion est si forte, d'autant qu'elles servent aussi la propagande des terroristes.

Souvenons nous du petit Aylan Kurdi, mort noyé en septembre 2015 sur la plage de Bodrum en Turquie. Il existe deux photographies différentes de son corps, toutes deux du photographe Nilufer Demir. La presse francophone a plutôt choisi de montrer un policier portant son cadavre, le visage de l'enfant dissimulé. Ce cliché, publié par le journal Le Monde permet de montrer la réalité sans pour autant personnifier la victime, ce qui lui donne un caractère universel pour évoquer la mort des réfugiers qui traversent la Méditerranée. La presse anglo-saxonnes, avait, à tord, privilégié le cliché du corps de l'enfant, visage face caméra, allongé sur le bord de plage (visible ici sur un blog du journal Le Monde, qui a du s'en expliquer). Je n'ose imaginer le père du petit Aylan, les jours suivants, croisant cette vision à la une de tous les journaux, à la télévision et sur internet. Comment faire son deuil quand son propre traumatisme s'affiche aux yeux du monde ?

En tant que photographe, nous devons avoir cette réflexion en tête chaque fois que nous publions un cliché, a défaut de l'avoir au moment de la prise de vue.

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