barre de partage

vendredi 1 avril 2016

La tête du ça et celle du moi

Dans la langue française, lorsque deux mots veulent dire la même chose, c'est généralement qu'il existe une nuance, parfois infime, dans le sens qu'ils véhiculent. Il en va probablement de même pour toutes les langues vivantes. Quelle différence ferions nous entre un selfie et un autoportrait ? Disons pour commencer que l'autoportrait, c'est ce que l'on fait quand on ne peut pas faire autrement. Le selfie, c'est ce que l'on fait quand on ne sait pas faire autre chose.

Autoportrait dans l'oeil de mon épouse, Ouagadougou, le 2 juin 2011
                  CANON EOS 300D
                  Distance focale : 80 mm
                  f/8
                  1/50 s
                  ISO 200

La pratique du selfie est apparut avec la miniaturisation des appareils photographiques, puis elle s'est généralisée avec l'apparition des smartphones. En devenant accessible à toutes les poches, l'outil photographique permettait alors à chacun d'exister et de s'exprimer ; encore fallait il avoir quelque chose à dire.
Il serait réducteur de réserver le selfie aux amateurs et l'autoportrait aux professionnels, nous sommes confrontés quotidiennement à l'auto promotion sexy et fantasmée d'inconnus devenus connus et fortunés rien qu'en exposant sur la toile toujours les mêmes clichés d'eux mêmes. De fait, c'est devenu leur profession : ils sont photographes et s'appellent tous Narcisse (vous pouvez par exemple voir ici Narcisse va à la plage).

Vous remarquerez aussi que, par extension, on appelle selfie tout portrait qui représente Narcisse, quel que soit l'auteur de la photographie comme tout récemment : Narcisse et la prise d'otage ... 

L'autoportrait porte en lui une connotation artistique. Rembrand lui même y succombait dès 1629, alors âgé de 23 ans et il y reviendra régulièrement jusqu'en 1669. Avant lui, Albrecht Dürer, dès l'an 1500 ne s'est pas privé d'en abuser. On n'ose à peine imaginer ce qu'il serait devenu avec un abonnement internet dans son smartphone ... probablement une icône du web, lui qui se représentait nu, vers 1504.

Je n'excelle pas dans l'autoportrait et je n'ai jamais trouvé le moindre intérêt personnel dans la pratique du selfie. Quand on est photographe, le bon côté d'un appareil photographique, c'est derrière. Les rares auto-clichés de moi-même sont d'avantage des expérimentations esthétiques, où j'apparais souvent méconnaissable.

Double autoportrait, Ouagadougou, le 31 décembre 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/8
                  593 s
                  ISO 100

L'autoportrait, balayé par la prolifération des selfies n'a plus vraiment de visibilité pour le grand publique. il a pourtant encore beaucoup de choses à nous apprendre et à nous surprendre. Emile Loreaux fait partie de ces photographes pour qui l'autoportrait est un terrain d'expérimentation permanent et dont le travail pousse à la réflexion sur notre société. Bien qu'il figure lui-même sur la plupart de ses clichés, il n'est jamais le sujet réelle de l'image produite. Il n'est qu'un vecteur, un pantin anonyme qui pourrait être nous et qui ne s'appelle pas Narcisse ; un sujet qui ne lui réclamera pas de droit à l'image, un acteur qui ne fait pas de caprice pour exprimer le message de l'auteur. A la richesse conceptuel de son travail se mêle la maîtrise de son art, des cadrages et des lumières picturales et une esthétique sobre et efficace. C'est beau et ça rend intéressant le monde dans lequel nous évoluons.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire