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dimanche 26 juin 2016

Galère en Guinée

Le reportage est toujours une occasion de découverte, que ce soit au coin de la rue où au bout du monde. Dans tous les cas, c'est le meilleur moyen de rester éveillé, d'observer et d'apprendre continuellement. Bien entendu, parfois, certains reportages se passent mal, vraiment mal. Alors on les range dans un coin d'oubli.
Récemment, une amie, en partance pour la Guinée Conakry a fait ressurgir les souvenirs de mon pire reportage photographique. J'ai fait, en deux jours et deux nuits de magnifiques clichés de la Guinée, j'y ai rencontré des gens touchants, j'ai traversé des villages à la fois pauvres et accueillants. Mais pour en arriver là, il a été nécessaire de subir de la part de l'ensemble des autorités du pays, la forme la plus perverse et la plus aboutie des corruptions. Une corruption généralisée et un mensonge permanent dans les rapports humains qui gangrènent la vie quotidienne et rend impossible le moindre espoir de développement pour la population guinéenne, pour qui devenir douanier ou policier reste l'unique chance de faire fortune, sur le dos des autres. Alors même que le pays foisonne de richesses.
C'était en mars 2010. J'accompagnais, en tant que photographe, une petite équipe de journalistes en tournage pour un organisme de développement du fleuve Niger. Nous arrivions par la route depuis Bamako au poste frontière de Kourémalé quand notre aventure à viré à la mésaventure.

Le fleuve Niger au niveau du pont de Niandan Koro, Guinée Conakry, le 19 mars 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/11
                  1/320 s
                  ISO 100

Village forestier à proximité de Faranah, Guinée Conakry, le 20 mars 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/8
                  1/200 s
                  ISO 100

Sortir du Mali fut rapide. Le temps d'un café pour se réveiller au petit matin avant la rencontre avec l'administration guinéenne qui semble rendre un hommage permanent au grand Kafka. Au policier qui demande nos passeports, il nous ai exigé 5 000 Fcfa, sans reçu. L'argent empoché après une tentative de négociation qui ne fait que s'envenimer, il offre nos passeports à son supérieur, qui lui exige 2 000 Fcfa par personne pour nous les rendre...
Le douanier est tout aussi gourmant : 10 000 Fcfa pour avoir le privilège d'aller nous faire racketter plus loin sans passer par une fouille du véhicule. Il prend l'argent en pleine rue, au regard de tous et improvise même le partage avec ses collègues au milieu du goudron... Cela fait désormais plus d'une heure que nous allons de mains en mains pour les remplir tandis que nos poches se vident. Il reste une ultime barrière à franchir, gardée par un homme gras, débordant de son uniforme kaki sur lequel s'écroulent un grade de colonel. Aux étrangers comme nous, son manège est rodé : il prend un air méchant, hurle en roulant les "R" comme un paysan et menace de nous incarcérer pour toute sorte de raison. Afin de dissiper sa colère, les chauffeurs routiers préfèrent lui serrer la mains afin d'y glisser une liasse de billets, sans prendre la peine de les dissimuler. Ainsi se monnaye l'ouverture de la barrière la plus chère de toute l'Afrique de l'Ouest.
Nous devions quelques heures plus tard réaliser l'interview du préfet, lui même haut gradé militaire, à Siguiri. Face à notre plainte d'un si cher accueil, il a présenté ses excuses tout en précisant que nous n'aurions pas à subir ce genre de chose lorsque nous franchirions la frontière en sens inverse pour le retour.


Grande lessive dans le fleuve Niger, Guinée Conakry, le 19 mars 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/11
                  1/250 s
                  ISO 100

La mare sacrée aux silures dans un village forestier, Guinée Conakry, le 20 mars 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/1.8
                  1/500 s
                  ISO 100

La suite de notre périple est plus floue, car escortée par un groupe d'hommes, dont nous comprendrons rapidement qu'il s'agit de militaires en civil, d'avantage occupés à notre surveillance qu'à notre protection. Tous les interlocuteurs que nous avons eu nous ont systématiquement menti sur les lieux où nous allions, sur les distances à parcourir. Tout comme ils semblaient avoir menti aux populations que nous devions rencontrer et qui voyaient en nous de riches investisseurs. Nous avons parcouru des dizaines de kilomètres de mauvaise route, des heures de pistes impraticables et poussiéreuses, pour dormir, après une escale à Kankan, dans un hôtel de Faranah, sans eau ni électricité, bien qu'il y avait des ampoules au plafond et des robinets dans la salle de bain. Au petit matin, avec une heure de retard, notre escorte nous a conduit de villages en villages dans une luxuriante forêt, improvisant sans cesse des détours dans des lieux qui ne figuraient pas à notre programme sur une voie que notre 4x4 peinait à affronter. J'en garde l'impression que les autorité nous utilisaient pour se faire valoir auprès de villageois sur le dos desquels il s'enrichissent. Et je me demande encore comment l'organisme humanitaire qui nous employait parvenait à réaliser quoi que ce soit dans ce pays sans que tout ne soit rapidement gâté.

Le matériel rouillé d'un barrage ensablé, Guinée Conakry, le 19 mars 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/6.3
                  1/100 s
                  ISO 200

Au milieu d'un village forestier, Guinée Conakry, le 20 mars 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/4.5
                  1/250 s
                  ISO 100

Notre reportage terminé, avec plusieurs heures de retard, nous avons fuit ce pays, à la population si accueillante et à l'administration si repoussante, nous avons fuit ses mensonges, sa médiocrité, son racket et ses escroqueries. Le temps de réparer, avec les outils du système D, une panne d'alternateur sur le véhicule et nous n'avons atteint la frontière pour le Mali qu'à une heure du matin alors qu'elle était fermée depuis minuit.
Un policier, guinéen, nous propose toutefois de passer moyennant finance... C'est alors que du poste de police, surgit un gradé, finissant de s'habiller et courant vers notre véhicule et criant :
"- Non, ils passent, eux ils passent c'est bon, ils passent !". Visiblement, notre préfet de la veille avait tenu parole et notre véhicule était devenu intouchable pour la corruption guinéenne.
En revanche, côté malien, la douane n'apprécia pas de nous voir traverser la frontière alors qu'elle était fermée : il y a là, paraît-il, des manières de contrebandiers, ; soupçons que les autorités guinéennes ne sont pas prêtes de dissiper. Plusieurs heures furent nécessaire pour une fouille complète du véhicule, avec démontage des portes, des sièges et de toutes les caches possibles dans le moteur. Au petit matin, nous étions autorisé à pénétrer de nouveau sur le territoire malien. Heureux d'être enfin sorti de cet enfer guinéen très exactement quarante-huit heures après y être entré.

Village forestier, Guinée Conakry, le 20 mars 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/4.5
                  1/200 s
                  ISO 100

De tous cela il reste heureusement de belles photographies, des paysages grandioses, des portraits joyeux, mais impossible d'en garder un quelconque bon souvenir même s'il m'arrive encore d'en rire autour d'un verre avec les membres de l'équipe de tournage. En bon burkinabè, quand tout va de pire en pire, on se rassure d'un "ça va aller", avec le ton du désespoir pour unique conviction.

lundi 20 juin 2016

L'avenir de la profession en Afrique de l'Ouest

Je ne sais pas s'il est possible de généraliser les lacunes de la profession de photographe à toute l'Afrique de l'Ouest à partir de la seule expérience du terrain au Burkina Faso. J'ai tout de même souvenir que dans la sous région aussi, on s'étonne tout autant de me voir faire de la photographie sans flash, comme si cela relevait de l'exploit.
Portrait d'un vieillard, Zawara, le 26 février 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/1.4
                  1/500 s
                  ISO 100

A Ouagadougou, on peut devenir photographe dès que l'on parvient à acheter un appareil numérique, même s'il s'agit d'un "France au revoir" ultra compact et ultra automatique de dix ans d'âge. Ça ne facilite pas l'obtention de qualité dans les images produites. J'ai ainsi croisé, lors d'une précédente édition du SIAO, un partenaire photographe avec trois boitiers de mauvaise qualité autour du cou. Je lui ai demandé si avec tout ça, il n'aurait pas mieux fait d'acheter un seul boitier mais trois fois plus cher.

Portrait d'une femme centenaire, Bandio le 2 octobre 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/2
                  1/5 s
                  ISO 1600

Ayant fait de la formation à Ouagadougou auprès de photographes de quartier, à l'initiative de mon ami Ibrahim Nikiéma (mieux connu sous le nom de Paparazzi) et de son association Pixel 24 j'ai constaté à quel point l'automatisme des boitiers numériques a profondément transformé le métier. A l'heure où les expositions internationales reconnaissent enfin et exposent les portraitistes des décennies passées, il est temps de reconnaître que la maîtrise technique et l'œil artistique des pères ce sont égarés pour les générations contemporaines. Peu de professionnels actuels trouverons un jour à placer une photographie dans une exposition internationale. Même ceux qui ont appris le métier du temps des pellicules noir et blanc, il n'y guère plus de quinze ou vingt ans, avec leur laboratoire de chimie dans l'arrière boutique, ont délaissé le savoir-faire artistique pour de la photographie tout automatique. Je ne compte plus le nombre de fois où l'on m'a dit : " Mais alors avec le numérique, on peut faire les même réglages qu'avec les vieux appareils photo ? ". De cette remarque, j'en conclut que le savoir des pères n'a pas encore été entièrement perdu, mais que beaucoup préfèrent aller au plus simple sans se soucier de la technique et des réglages. Bref, en Afrique de l'Ouest, un photographe se contente souvent d'appuyer sur le bouton. Et de facilités en facilités, il en vient même à oublier de cadrer.


Portrait pour la campagne électorale d'Abdoulaye Bio Tchané au Bénin, Lomé le 27 décembre 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/2.5
                  1/80 s
                  ISO 200

Du coup, la concurrence est rude. Car en plus des autres photographes, il faut aussi parvenir à convaincre des clients, qui bien souvent, réalisent de meilleurs photographies avec leur propre Iphone dernier cri...
Il convient donc de ne pas rester passif pour préparer l'avenir du métier au Burkina. Tout d'abord, il reste encore quelques talents passionnés qui font bien leur métier, je citerai par exemple Hamed Ouoba dont le reportage sur les attaques Djihadistes de Ouagadougou a fait le tour du monde. Il a réalisé là une prise de vue dans les pires conditions possibles, sous le feu nourri des terroristes et de nuit avec pour toute lumière la piètre qualité de l'éclairage urbain et les incendies (inutile de préciser que dans ces circonstances, le flash est proscrit).

Portrait du cinéaste Gaston Kaboré, Ouagadougou le 13 février 2016
                  CANON EOS 60D ; CANON EF 24-105 mm f/4 L IS USM
                  Distance focale : 58 mm
                  f/4
                  1/20 s
                  ISO 1250

D'autre part, il suffirait d'un peu de formation pour redonner un avenir à la profession. De toute manière nous n'avons plus le choix, si nos photographes ne parviennent pas à créer de plus beaux clichés qu'un amateur avec son smartphone il devront se reconvertir. C'est donc contrainte et obligée que la profession va évoluer pour sa survie. Le résultat ne pourra être qu'un gain de qualité. Mais ceux qui n'ont pas la passion et le courage continueront de galérer pour vendre à la sortie des salles de conférences et banquets de mariages, de mauvais tirages, souvent cadrés par hasard et développés en toute hâte afin avoir le temps de revenir harceler leurs victimes du droit à l'image.