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vendredi 15 juillet 2016

Surveiller les regards

Le regard, c'est la première chose que notre cerveau analyse sur un portrait. En l'absence de tout autre sens, nos yeux, instinctivement, scrutent le regard de l'autre pour en déceler les émotions et les pensées : qui regarde qui, avec quelles intentions, bonnes ou mauvaises ? Y a t-il du danger dans ce regard, de l'affection, de l'amitié ? Cette première impression oriente la signification que nous nous faisons ensuite de l'image. En publicité, mais aussi dans la presse people, dans la mode ou à la télévision, le regard est braqué sur l'objectif pour que le spectateur puisse y plonger et qu'il garde dans son inconscient, l'impression que c'est lui même qui est le sujet que l'on regarde.

"L'Américain", un fou de Boromo, le 15 novembre 2005
                  CANON EOS 300D
                  Distance focale : 55 mm
                  f/5.6
                  1/125 s
                  ISO 200


Don de matériel scolaire dans un village, Burkina Faso, le 25 octobre 2012
                  CANON EOS 60D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/1.8
                  1/320 s
                  ISO 320

A la prise de vue, je surveille en permanence les regards, leur direction, leur sens... et je conseille toujours aux personnes qui m'assistent d'en faire autant. Je ne parle pas ici des regards qui font face à l'objectif, mais de tous ceux, naturels, qui composent une scène et racontent l'interaction entre les protagonistes de l'image. Il y a parfois des pièges. La photographie est un arrêt sur image et la plasticité d'un visage peu prendre, le temps d'une fraction de seconde une attitude qui contredit l'émotion réelle du moment. Le regard peu, furtivement, s'orienter d'un côté ou de l'autre avant de revenir à son point de départ.

Siby, le 4 décembre 1999
J'ai longtemps hésité à montrer cette photographie tant ce qu'elle exprime contredit l'événement qu'elle illustre. Le noir et blanc, l'absence de sourire, une certaine lassitude, presque de l'inquiétude dans le regard central. Le second regard à l'arrière plan, levé au ciel et semblant implorer. Même le bébé ne semble pas être serein. Pourtant ce jour là, nous nous rendions à un bal poussière, à trente kilomètres par la piste. C'était jour de grande fête. Mais pour nous y rendre, nous étions vingt-cinq, entassé dans l'inconfort de l'arrière d'un vieux bâché Peugeot aux suspensions obsolètes. Même en connaissance du contexte de prise de vue, il n'est pas facile de déceler la moindre trace de bonheur dans ces visages qui s'apprêtaient à danser toute la nuit.
Ce que nous dit cette photographie, c'est qu'il ne suffit pas de saisir un regard lors de la prise de vue, il faut aussi savoir saisir le bon regard, celui qui est expressif et conforme au moment. C'est en ce sens que la photographie ne montre pas la réalité, car elle est un arrêt sur image que nous devons ensuite interpréter alors que notre cerveau est façonné pour voir et comprendre un monde en mouvement. Et un arrêt sur image ne dit pas ce qu'il y a avant, ni ce qu'il y a après.

Ouagadougou, le 26 janvier 2014
                  CANON EOS 60D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/1.6
                  1/100 s
                  ISO 640

Il y a aussi des hasards heureux. Alors qu'il avait cinq mois, j'ai photographié mon fils, assis dans son lit en train de jouer avec ses mains. Il a cligné des yeux au moment de "l'arrêt sur image". Le résultat est saisissant : un bébé assis, à la fois en train de jouer et de dormir. Là encore, malgré l'absence du regard, ce sont les yeux que nous fixons en premier et ils nous évoquent le sommeil, qui n'est pourtant qu'une apparence.

CEFISE BENAJA, Ouagadougou le 31 mai 2010
                  CANON EOS 300D
                  Distance focale : 33 mm
                  f/4.5
                  1/25 s
                  ISO 800

Dans l'image ci-dessus, l'intensité des regards est d'avantage conforme à la réalité du moment. On note immédiatement le visage souriant central, qui s'oppose au regard ferme qui le fixe. Il s'agit d'une photographie réalisée au centre scolaire CEFISE-BENAJA de Ouagadougou, dans l'atelier d'électricité. Le CEFISE est un établissement inclusif ou chaque classe mélange des élèves sourds et d'autres entendant. La langue des signes y est maîtrisée par l'ensemble des élèves, qui s'expriment par la gestuel et écoutent avec les yeux. Cela produit des regards plein d'expressivité et de concentration.
On notera aussi que les regards qui fixent l'objectif, auxquels la presse people et la publicité nous habituent, ne sont, dans la réalité, pas toujours les plus beaux ni les plus intéressants. Il est plus gratifiant de saisir un vrai regard, non posé, mais juste saisi au naturel. La direction du regard apporte autant de sens que l'expression du visage. Et deux regards, ou plus, qui se croisent ou s'ignorent, plutôt qu'un regard fixe et hypnotisant qui ne se détache pas du spectateur, portent plus de sens tout en offrant une composition plus riche à la lecture, pour celui qui découvrira l'image sans avoir été présent lors de la prise de vue.

Zawara, le 27 février 2010
                  CANON EOS 300D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/3.5
                  1/50 s
                  ISO 100

Reportage photographique pour WATER AID Burkina, le 30 juin 2015
                  CANON EOS 60D ; CANON LENS EF 50 mm f/1.4
                  Distance focale : 50 mm
                  f/4
                  1/2 500 s
                  ISO 200

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